Relaxe malgré des aveux : à un pas de l'erreur judiciaire
On apprend à la faculté de droit, à l’école des avocats, à l’école nationale de la magistrature, que l’aveu est la preuve la plus imparfaite, celle dont il faut le plus se méfier.
On acquiesce du bout des lèvres, car imaginer qu’un innocent avoue une infraction qu’il n’a pas commise, c’est totalement contre-intuitif.
Pourtant, en pratique, que l’on soit avocat ou juge, nous avons tous le même réflexe : lorsque nous ouvrons un dossier, nous commençons par regarder si les faits sont reconnus.
Si c'est le cas, alors nous étudions la procédure différemment, sans reprendre dans le détail l’ensemble des éléments à charge et à décharge, car, « de toute façon, c’est reconnu ».
Et puis, une fois de temps en temps (un dossier sur 10.000 ?), il y a des aveux, mais quelque chose ne va pas.
C’est ce qu’il s’est passé dans ce dossier.
Lorsque le Cabinet est saisi de la défense des intérêts de cet homme, il était placé en détention provisoire depuis quelques jours.
A l’issue de sa garde à vue, il avait reconnu les faits. Deux fois : devant le procureur de la République, puis devant le Juge des libertés et de la détention.
Lorsque nous le rencontrons en détention pour la première fois, il nous indique tout de suite qu’il a avoué mais que ce n’est pas lui, qu’on lui a conseillé d’avouer car il aurait plus de chances de ne pas aller en prison (sic).
Alors, le travail de Défense, le travail de fourmi commence : reprendre tout le dossier, procès-verbal par procès-verbal.
Se plonger dedans pendant des heures, des jours, des soirées, des weekends, pour trouver l'élément qui l'innocentera.
Il faut au moins cela, car solliciter la relaxe d’un homme qui a avoué, c’est comme remonter un fleuve à contre-courant.
Jusqu’à trouver la faille : la téléphonie.
La même téléphonie qui était présentée par les enquêteurs comme le principal élément à charge.
En allant dans le détail des fadets (ces longs tableaux qui s’étirent sur des dizaines de pages avec des milliers de lignes qui listent les bornes qui ont été déclenchées par un téléphone, à quelle heure, pour quel type d’appel, etc…), on s’aperçoit que ce que les gendarmes écrivent est tout simplement faux. Cet homme ne bornait pas à l’heure et à l’endroit indiqués par les enquêteurs.
Ce matin, le Tribunal correctionnel l'a relaxé des cinq infractions qui lui étaient reprochées.
Pas une relaxe au bénéfice du doute, une relaxe parce que cela ne peut pas être lui.
Il va pouvoir retrouver sa compagne et sa fille.
Patrick Dils avait écrit, pour expliquer le mécanisme qui gouverne les faux aveux : « je voulais juste rentrer chez moi ».
Il suffit d’un dossier sur 10.000 pour nous rappeler ce qu’on nous apprend pourtant très tôt et que l’on connaît par cœur : les aveux sont la plus fragile des preuves.