Rumeur et présomption d'innocence

C’est l’histoire d’une rumeur.

Tout débute avec un « procès-verbal de clameur publique » (sic).

C’est une jolie formule pour désigner un procès-verbal qui relate les commérages des habitants qui désignent un homme comme étant possiblement à l’origine des feux qui ont frappé le nord de la Gironde et le sud de la Charente-Maritime cet été.

Les enquêteurs ne partent donc pas des investigations pour arriver à un suspect, ils font le chemin inverse : ils partent du nom livré par la vindicte, et cherchent ensuite les preuves contre lui.

Sauf que des preuves irréfutables, il n’en existe aucune.

Alors, faute de certitude, on se contentera d’étayer la « possibilité » que la rumeur dise vrai.

En effet, une fois l’enquête achevée, les enquêteurs écrivent dans leur procès-verbal de synthèse que cet homme a « possiblement » pu commettre certains de ces feux.

L’homme est placé en garde à vue le 9 août. Alors même qu’il est dans les locaux de la gendarmerie depuis plusieurs heures, de nouveaux feux se déclenchent dans le même secteur géographique :

-             L’hypothèse que commande le bon sens est simple : l’homme en garde à vue n’est donc pas le suspect qu’ils recherchent.

-             Hypothèse des enquêteurs : c’est donc qu’il y a un second pyromane.

Une fois que la Justice s’est engagée dans une direction, elle déteste reconnaître qu’elle s’est trompée.

Alors peu importe qu’il existe ensuite un second suspect à l’égard duquel les enquêteurs admettent qu’il n’est « absolument pas » exclu qu’il ait pu déclenché une dizaine d'incendies.

Peu importe aussi que la téléphonie ne colle pas : s’il borne chez lui au moment des faits, à plusieurs kilomètres du départ de feu, c’est qu’il a prémédité son geste et n’a volontairement pas emporté son téléphone avec lui. Peu importe qu’il y ait de l’activité sur son téléphone durant ce laps de temps : il a sans doute dû laisser volontairement une application allumée pour créer artificiellement une activité sur son téléphone.

Peu importe que sur les 25 incendies sur lesquels porte l’enquête, il est acquis de manière irréfutable qu’il ne peut pas en avoir commis la grande majorité : on ne le jugera donc que pour cinq feux, mais on le jugera.

Quand on part de la solution, que l’enquête n’a pour seule raison d’être que de confirmer une rumeur, alors tout devient un élément à charge, même les éléments à décharge les plus évidents.

Le Cabinet a cherché à démontrer que l'étude minutieuse du dossier démontrait, au contraire, l'innocence de cet homme.

Délibéré le 16 décembre.

Point procédural : le Tribunal devra aussi statuer sur notre demande d’annulation de l’expertise psychiatrique (deux moyens de nullité : violation du principe de présomption d’innocence, absence de notification du droit au silence).

Article du journal Sud Ouest du 11 novembre 2025

Nicolas Clot